1. Introduction
Michel Onfray consacre ce dernier épisode de la saison 12 à Démocrite, philosophe matérialiste souvent oublié par l’histoire officielle de la philosophie. À travers l'image de son grand rire, Onfray explore un autre lignage philosophique : celui de la résistance, de la lucidité joyeuse et de la sagesse incarnée. Contre Platon, contre les idéalistes et les clercs, Démocrite représente une philosophie terrestre, physique, rieuse, enracinée dans l’immanence.
2. Deux lignages philosophiques : résistance vs collaboration
Onfray trace une opposition structurante :
Les philosophes collaborateurs : Platon, Kant, Descartes… qui servent le pouvoir, la religion, l’ordre établi.
Les philosophes résistants : Démocrite, Épicure, Lucrèce… qui pensent contre le pouvoir et en dehors des institutions.
Cette distinction repose sur une vision binaire assumée : il faut choisir son camp dans l’histoire des idées.
3. Le matérialisme comme sagesse du réel
Démocrite fonde un matérialisme joyeux :
Il nie tout arrière-monde et se contente du monde tel qu’il est.
Il affirme que la réalité est composée d’atomes et de vide, en mouvement constant.
Cette ontologie conduit à une éthique de l’immanence : vivre pleinement ici et maintenant, sans illusions métaphysiques.
4. Une vie philosophique exemplaire
Démocrite ne se contente pas de penser : il incarne sa philosophie. Onfray insiste sur :
Son retrait volontaire dans une cabane au fond de son jardin.
Sa pratique du détachement, de l’ascèse, mais sans haine du corps.
Sa lucidité sur les passions humaines, qu’il observe avec distance — et humour.
5. Philosophe rieur, philosophe subversif
Le fameux rire de Démocrite est un acte philosophique :
Il rit du monde tel qu’il est, sans désespoir mais sans naïveté.
Il rit de Dieu, des religions, de l’inculture, du pouvoir, de l’argent, des dogmes.
Ce rire est une arme contre l’idéalisme, la crédulité, la tristesse, la soumission.
6. Une tradition persécutée et effacée
Démocrite a été effacé par l’histoire officielle :
Platon voulait brûler ses œuvres.
Les Pères de l’Église ont contribué à faire disparaître le corpus matérialiste.
L’université moderne continue à l’ignorer, ou à le cantonner à la catégorie marginalisante de « présocratique ».
Onfray rappelle que 80 % du corpus présocratique vient de Démocrite, pourtant méprisé dans l’historiographie dominante.
7. Démocrite et la critique des religions
Le rire de Démocrite est aussi une critique radicale des religions :
Il nie toute transcendance et toute théologie.
Il critique l’instrumentalisation du divin pour maintenir l’asservissement.
Il défend la science, l’encyclopédie, la connaissance contre l’obscurantisme.
8. Le style comme marque du matérialisme
Onfray oppose les obscurs (Héraclite, Heidegger…) aux clairs (Démocrite, Lucrèce, Diderot…).
Les philosophes matérialistes écrivent avec clarté, parce qu’ils cherchent à transmettre, pas à impressionner.
La lisibilité devient un critère éthique autant qu’esthétique.
9. Une éthique hédoniste et lucide
Démocrite enseigne une joie construite :
Refus de l’idéal ascétique, de la haine du corps, de la peur de la mort.
Affirmation du plaisir, de l’ataraxie, de la légèreté d’exister.
Vie simple, détachée des désirs coûteux : enfants, argent, gloire, honneurs.
Il invite à rire du commerce avec autrui, en cultivant une juste distance (eumétrie), comme le proposait aussi Schopenhauer.
💡 Conclusion
Démocrite incarne une philosophie de l’immanence joyeuse, qui refuse les arrière-mondes, les dogmes, les illusions. Il propose une vie de sagesse fondée sur la lucidité, la mesure, la joie, la connaissance et la résistance à toutes les formes d’asservissement. Son rire n’est ni moquerie ni indifférence : c’est une posture éthique, un acte de liberté. Onfray redonne toute sa place à ce philosophe effacé, en en faisant le point de départ d’un autre lignage, matérialiste, rebelle et lumineux.
📚 Philosophes mentionnés
Protagoras (env. 490–420 av. J.-C.) — Sophiste grec, célèbre pour son agnosticisme.
Socrate (env. 470–399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure centrale de la philosophie morale antique.
Démocrite (env. 460–370 av. J.-C.) — Philosophe matérialiste grec, auteur d’une cosmologie atomiste, fondateur d’une éthique de l’immanence et du rire.
Aristippe de Cyrène (env. 435–356 av. J.-C.) — Fondateur de l’école cyrénaïque, défenseur de l’hédonisme.
Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe idéaliste grec, critique du matérialisme.
Diogène de Sinope (env. 412–323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, défenseur de la vie simple et libre.
Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur de l’ataraxie et du plaisir modéré.
Lucrèce (env. 98–55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur du De natura rerum, vulgarisateur du matérialisme épicurien.
Plotin (env. 205–270) — Philosophe néoplatonicien, cité pour sa métaphore de la statue à sculpter.
Spinoza (1632–1677) — Philosophe rationaliste, panthéiste, auteur du Deus sive natura.
Voltaire (1694–1778) — Philosophe des Lumières, déiste, souvent accusé à tort d’athéisme.
Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe du pessimisme, mentionné pour l’eumétrie.
Feuerbach (1804–1872) — Philosophe allemand, théoricien de l’athéisme et de la généalogie de Dieu.
Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, lecteur de Démocrite, critique de la métaphysique et défenseur du pathos de la distance.
Jean Salem (1952–2018) — Philosophe français, spécialiste du matérialisme antique.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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