1. Introduction
Dans cette avant-dernière conférence consacrée à Arthur Schopenhauer, Michel Onfray met en lumière une facette méconnue du penseur allemand : l’optimisme du pessimiste. Malgré sa réputation de philosophe tragique et misanthrope, Schopenhauer développe une sagesse pratique, influencée par l’épicurisme, le stoïcisme, et les sagesses orientales. Il montre comment une pensée lucide du malheur peut paradoxalement conduire à une vie heureuse, paisible et libre.
2. Pessimisme de raison et optimisme de l’action
Onfray distingue entre :
Un pessimisme théorique (le monde comme souffrance, tyrannie du vouloir-vivre).
Et un optimisme existentiel, vécu dans la vie quotidienne par Schopenhauer lui-même (balades, musique, plaisirs simples). Nombre de philosophes pessimistes (Cioran, Leopardi, Schopenhauer lui-même) ne se suicident pas, et mènent même des vies relativement hédonistes.
3. L’artifice kantien : métaphysique du malheur, empirique du bonheur
Schopenhauer utilise une distinction kantienne :
Sur le plan métaphysique (la chose en soi), le bonheur est impossible.
Sur le plan phénoménal (l’expérience empirique), il est accessible par la maîtrise des représentations. Ainsi, bien que le vouloir-vivre soit source de souffrance, il est possible, par une sagesse pratique, de réduire les désirs et atteindre une forme de béatitude.
4. Le pessimisme comme propédeutique à l’hédonisme
Le pessimisme schopenhauerien est une étape dialectique : il faut voir le monde tel qu’il est pour mieux en aménager les conditions de vie. La lucidité sur la souffrance permet une stratégie de survie fondée sur la réduction du mal, plutôt que sur la quête illusoire du bonheur.
5. La sagesse pratique : un épicurisme schopenhauerien
Onfray met en parallèle Schopenhauer et Épicure, à travers le tétrapharmakos (les quatre remèdes) :
La mort n’est pas un mal : elle n’existe que comme représentation, jamais comme réalité vécue.
Le bonheur est possible : par la suppression des désirs inutiles, on atteint l’ataraxie.
La souffrance est supportable : si elle est représentée avec distance et acceptée.
Les dieux ne sont pas à craindre : il n’existe pas de transcendance, donc aucune punition divine.
6. Trois voies vers le bonheur
Schopenhauer propose trois modalités de sortie du malheur :
La contemplation esthétique : l’art, la nature, la musique suspendent le vouloir-vivre et procurent un soulagement temporaire.
La morale de la pitié : reconnaître l’unité du vivant et éprouver une tendresse cosmique envers tous les êtres.
La négation du vouloir-vivre : à la manière du bouddhisme, éteindre ses désirs (chasteté, sobriété, retrait du monde) pour atteindre la paix intérieure.
7. L’enfance comme paradigme de l’innocence
Schopenhauer célèbre l’enfance comme âge d’or de l’existence, avant l’apparition de la sexualité et des passions. L’enfant incarne une curiosité pure, une intelligence naturelle, éloignée des tyrannies du vouloir. Retrouver cet état d’innocence serait l’horizon de sa sagesse.
8. Déterminisme et liberté pratique
Bien que Schopenhauer nie le libre arbitre, il affirme paradoxalement que l’homme doit être son œuvre propre. Onfray montre que, dans une logique proche de Spinoza ou Nietzsche, la conscience du déterminisme permet de construire une stratégie d’émancipation : opposer un motif à un autre, résister au déterminisme en jouant sur ses leviers.
9. Schopenhauer, un philosophe existentiel
Onfray inscrit Schopenhauer dans la lignée des philosophes de l’expérience (Montaigne, Nietzsche) :
Philosophe de la vie quotidienne, plus que théoricien académique.
Pensée enracinée dans une autobiographie masquée.
Rejet de la philosophie universitaire au profit d’une pensée pour mieux vivre.
💡 Conclusion
Michel Onfray révèle un Schopenhauer moins sombre qu’il n’y paraît : sous le masque du pessimiste se cache un penseur du bonheur discret, un épicurien post-kantien. En conjuguant lucidité sur la souffrance et stratégie de réduction du mal, il élabore une sagesse existentielle, à la fois réaliste et consolatrice. Penser le pire devient un moyen pour mieux vivre le présent, dans la sérénité, l’ataraxie et l’indépendance d’esprit.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
Bouddha (VIe s. av. J.-C.) — Philosophe indien, fondateur du bouddhisme, modèle de l’extinction des désirs.
Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe grec, théoricien du dualisme intelligible/sensible.
Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’ataraxie, influence centrale de Schopenhauer.
Lucrèce (env. 98–55 av. J.-C.) — Poète et philosophe matérialiste romain, auteur du De natura rerum.
Marc Aurèle (121–180) — Empereur et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
Balthasar Gracián (1601–1658) — Moraliste espagnol, auteur du Héros, traduit par Schopenhauer.
Spinoza (1632–1677) — Philosophe rationaliste, théoricien du déterminisme et de la joie.
Immanuel Kant (1724–1804) — Philosophe allemand, inspirateur de la distinction phénomène/noumène.
Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, fondateur du pessimisme philosophique.
Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, lecteur de Schopenhauer, défenseur d’une philosophie du dépassement.
Sigmund Freud (1856–1939) — Fondateur de la psychanalyse, inspiré par la théorie du vouloir de Schopenhauer.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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