1. Introduction
Dans ce deuxième épisode de la saison 12, Michel Onfray approfondit l’opposition entre deux figures du philosophe : le philosophe existentiel et le professeur de philosophie. À travers une critique acerbe de Hegel et de l’idéalisme allemand, Onfray montre comment Schopenhauer, héritier de la tradition antique, s’oppose radicalement à la philosophie académique, institutionnelle et étatique. Cette conférence explore les enjeux de la vérité, de la liberté de pensée et du rapport entre biographie et métaphysique.
2. Philosophie antique et modernité universitaire
Onfray s’appuie sur Pierre Hadot pour rappeler qu’avant le triomphe du christianisme, la philosophie était avant tout un mode de vie, non une activité spéculative. Le philosophe était un sage, un guide, pas un professeur. Avec le christianisme, puis les institutions modernes, la philosophie devient une discipline académique, subordonnée au pouvoir religieux ou politique.
3. Schopenhauer contre les professeurs
Schopenhauer incarne la philosophie existentielle : il pense avec sa vie, et vit sa pensée. À l’inverse :
Le professeur de philosophie vit de la philosophie, non pour elle.
Il enseigne dans un cadre contraint par l’État, doit plaire à ses étudiants, et se soumet à des obligations administratives.
Schopenhauer critique cette dépendance salariale, la compromission avec l’idéologie officielle, et l’impossibilité de penser librement dans ce cadre.
4. Hegel : figure du philosophe fonctionnaire
Hegel est, pour Schopenhauer, le représentant type du philosophe salarié :
Il professe à Berlin, défend l’État prussien, le christianisme luthérien et la monarchie.
Sa philosophie est une théodicée déguisée, justifiant l’ordre établi au nom de la raison.
Il est qualifié de sophiste, de charlatan, d’idéologue du pouvoir, utilisant un langage abscons pour dissimuler des idées banales.
5. La querelle personnelle et théorique
Schopenhauer a tenté d’enseigner à Berlin, au même moment que Hegel. Son échec cuisant (5 étudiants contre un amphithéâtre plein pour Hegel) nourrit un ressentiment personnel, mais aussi une critique de fond :
Il reproche à Hegel son obscurantisme conceptuel, qui cache la pauvreté de sa pensée.
Il valorise une philosophie claire, limpide, directe, comme chez Lucrèce ou Épicure.
6. Différences de méthode : géologues contre géographes
Onfray distingue :
Les géologues (comme Schopenhauer), qui approfondissent une intuition unique.
Les géographes (comme Hegel), qui couvrent tous les domaines sans profondeur réelle. Schopenhauer creuse une seule idée — le vouloir-vivre — qu’il décline dans tous les champs (art, morale, sexualité, musique...).
7. Opposition métaphysique et morale
La divergence entre les deux penseurs est totale :
Hegel est optimiste, dialecticien, pense que le mal est justifié car il produit le bien (influence sur le marxisme, le communisme).
Schopenhauer est pessimiste, pense que la souffrance est le fond de toute chose, que le mal est irréductible.
Il rejette le libre-arbitre, fondement de la morale chrétienne et de l’État pénal, au profit d’un déterminisme absolu.
8. Philosophie et religion : incompatibilité
Schopenhauer voit dans la religion une métaphysique pour le peuple, faite de mythes et de fables. Il considère la philosophie chrétienne comme une contradiction, une tentative de travestir la pensée sous des oripeaux religieux. La philosophie véritable, selon lui, ne peut être que laïque, matérialiste et indépendante.
9. Le langage : obscurité ou clarté ?
Onfray critique l’obscurité volontaire de certains philosophes (Hegel, Heidegger, Deleuze), qui s’entourent d’un jargon ésotérique pour créer une caste élitiste. À l’inverse, Schopenhauer revendique un style clair, accessible, incisif, où la complexité du fond ne doit pas être trahie par celle de la forme.
10. Une philosophie à vivre, non à réciter
Schopenhauer oppose deux façons de philosopher :
Penser avec sa bibliothèque, comme les professeurs de philosophie.
Penser avec le monde, l’expérience, l’introspection. Il prône une philosophie pratique, qui nous apprend à vivre, non une discipline académique pour occuper un poste.
💡 Conclusion
Schopenhauer incarne une philosophie de la liberté, en rupture avec la philosophie institutionnelle incarnée par Hegel. Refusant le compromis avec le pouvoir, l’idéologie chrétienne et l’académisme, il défend une pensée lucide, existentielle et subversive, enracinée dans l’expérience vécue. Sa critique des « professeurs de philosophie » est aussi une défense de la philosophie comme art de vivre, fidèle à l’idéal antique.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
Socrate (env. 470–399 av. J.-C.) — Philosophe grec, maître du "connais-toi toi-même".
Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe grec, critique des sophistes.
Antiphon (Ve siècle av. J.-C.) — Sophiste grec, relativiste et naturaliste.
Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, partisan de la simplicité et de l’ataraxie.
Lucrèce (env. 98–55 av. J.-C.) — Poète et philosophe latin, auteur du De natura rerum.
Augustin d’Hippone (354–430) — Théologien chrétien, auteur de La Cité de Dieu.
Emmanuel Kant (1724–1804) — Philosophe allemand, influence majeure de Schopenhauer.
Johann Gottlieb Fichte (1762–1814) — Philosophe idéaliste allemand, critiqué par Schopenhauer.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770–1831) — Philosophe allemand, figure de l’idéalisme allemand, cible principale de Schopenhauer.
Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, fondateur du pessimisme philosophique.
Karl Marx (1818–1883) — Philosophe allemand, influencé par Hegel.
Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, lecteur critique de Schopenhauer.
Pierre Hadot (1922–2010) — Philosophe français, spécialiste de la philosophie antique comme mode de vie.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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