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CHP11 - 11. Schizophrénie du philosophe
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CHP11 - 11. Schizophrénie du philosophe

Le siècle du moi - 1ère partie

1. Introduction

Dans cet épisode intitulé Schizophrénie du philosophe, Michel Onfray poursuit son analyse de Arthur Schopenhauer, en se concentrant sur le décalage flagrant entre sa philosophie théorique et sa vie personnelle. Il met en lumière les contradictions existentielles du penseur, entre son éloge du détachement, de la pitié et de l’ascèse, et son comportement souvent misanthrope, colérique et brutal. Cette "schizophrénie", loin d’être anecdotique, structure profondément l’œuvre de Schopenhauer.

Arthur Schopenhauer Portrait by Ludwig Sigismund Ruhl 1815
Arthur Schopenhauer Portrait by Ludwig Sigismund Ruhl 1815

2. Une lecture subjective de Platon et Kant

Schopenhauer découvre très jeune Platon et Kant, dont il propose une lecture personnelle :

  • Il retient le dualisme platonicien (monde intelligible / monde sensible), mais en le dépassant vers un monisme centré sur la volonté.

  • Il reprend le concept kantien de chose en soi et le relie à sa notion centrale de “vouloir-vivre”.

Dès 25 ans, il élabore sa vision philosophique, exprimée dans sa thèse De la quadruple racine du principe de raison suffisante, saluée par ses pairs.


3. La construction du système moniste : volonté et représentation

Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer expose une vision unifiée du réel :

  • Il rejette toute transcendance, toute dualité chrétienne, pour défendre une immanence absolue.

  • La seule réalité est le “vouloir-vivre”, principe aveugle qui anime minéraux, végétaux, animaux et humains sans distinction hiérarchique.

  • Ce vouloir est source de souffrance, d’où la nécessité de le nier pour atteindre la quiétude.


4. Influence de la pensée orientale et du bouddhisme

Onfray montre l’importance décisive des lectures de Schopenhauer sur l’Inde :

  • Les textes védiques et le bouddhisme nourrissent chez lui une vision du monde fondée sur l'impassibilité du sage, l'ascèse et la compassion universelle.

  • Il théorise une pitié pour tous les êtres vivants, et prône le végétarisme et l’opposition à la cruauté animale, tout en se montrant contradictoire dans sa pratique.


5. Les contradictions existentielles : misanthropie et violence

Schopenhauer se montre souvent en contradiction flagrante avec ses propres principes :

  • Il prône la chasteté mais entretient des relations avec des servantes.

  • Il célèbre la pitié mais agresse physiquement sa voisine Caroline Marquet, ce qui lui vaudra vingt ans de pension imposée par la justice.

  • Il défend la négation du “vouloir-vivre” mais mène une existence bourgeoise, hypochondriaque, préoccupée par l’argent et la réputation.

Onfray qualifie cette tension constante de schizophrénie philosophique.


6. Philosophie anti-hégélienne et critique du professeur de philosophie

Schopenhauer s’oppose frontalement à Hegel, qu’il méprise :

  • Il rejette l’idée d’une philosophie universitaire au service de l’État.

  • Il défend une philosophie libre, indépendante, existante en dehors des institutions, inspirée par sa propre situation de rentier.

  • Il considère que la philosophie ne doit jamais être subordonnée aux pouvoirs politiques ou religieux.


7. La métaphysique de la stérilité : célibat, rejet du mariage et de l’amitié

Schopenhauer refuse les attaches affectives :

  • Il théorise la métaphysique du célibat, estimant que l’amour n’est qu’un subterfuge du “vouloir-vivre” pour assurer la reproduction.

  • Il se méfie des amitiés, suivant les moralistes comme La Rochefoucauld et Gracián, convaincu qu’elles finissent toujours en trahison.


8. Un mode de vie rigoureusement réglé : hygiène du philosophe

Schopenhauer adopte une hygiène stricte pour préserver sa liberté :

  • Trois heures de travail le matin, deux heures de promenade quotidienne.

  • Régime alimentaire frugal (bien qu'il déroge à son végétarisme théorique).

  • Indifférence aux modes vestimentaires, promenades avec son chien Atma, incarnation de son rejet des conventions.

  • Une vie marquée par l’hypocondrie, la crainte permanente du bruit et du dérangement.


9. L’art, la musique et le refus du suicide

Malgré son pessimisme, Schopenhauer ne sombre jamais dans le désespoir total :

  • Il trouve dans la musique (Mozart, Rossini) une consolation existentielle majeure.

  • Il théorise la possibilité d’échapper à la souffrance par l’art et la contemplation esthétique.

  • Il réfute le suicide, considérant que le “vouloir-vivre” subsiste dans l’univers au-delà de la mort individuelle.


💡 Conclusion

Arthur Schopenhauer incarne une figure philosophique profondément contradictoire, alliant une pensée rigoureusement moniste, antichrétienne, anti-étatique, avec une existence marquée par la misanthropie, la misère affective et le repli sur soi. Cette schizophrénie entre théorie et pratique fait de lui un penseur fascinant, dont la radicalité existentielle, l’éloge du détachement et la critique des liens sociaux résonnent encore puissamment aujourd’hui.


📚 Philosophes et concepts mentionnés

  • Parménide (env. 515-450 av. J.-C.) — Philosophe grec, réflexion sur l’être et le non-être.

  • Platon (env. 428-348 av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur du dualisme monde intelligible / monde sensible.

  • Épicure (341-270 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur de l’ataraxie.

  • Plotin (env. 205-270) — Philosophe néoplatonicien, défenseur de l’impassibilité du sage.

  • Longin (IIIe siècle) — Théoricien du sublime.

  • Balthasar Gracián (1601-1658) — Philosophe et jésuite espagnol, moraliste, traduit par Schopenhauer.

  • La Rochefoucauld (1613-1680) — Moraliste français, sceptique sur l’amitié.

  • Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) — Philosophe des Lumières, référence sur la nature.

  • Immanuel Kant (1724-1804) — Philosophe allemand, théoricien du transcendantal et de la chose en soi.

  • Hegel (1770-1831) — Philosophe allemand, figure dominante du XIXe siècle, opposé à Schopenhauer.

  • Arthur Schopenhauer (1788-1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, penseur pessimiste, moniste et antichrétien.

  • Friedrich Nietzsche (1844-1900) — Philosophe allemand, grand lecteur de Schopenhauer, théoricien de l’individuation radicale.


Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie

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