1. Introduction
Dans cette conférence intitulée La logique du pire, Michel Onfray poursuit son analyse du pessimisme de Schopenhauer, en abordant l’une de ses facettes les plus controversées : sa misogynie radicale. À partir du célèbre texte Sur les femmes issu des Parerga et Paralipomena, Onfray démontre comment Schopenhauer systématise une vision du monde fondée sur une ontologie noire, où la femme devient l’incarnation de la ruse de la nature, et où la sexualité est condamnée comme instrument de la tyrannie du vouloir-vivre.
2. Une misogynie enracinée dans la tradition philosophique et religieuse
Onfray commence par rappeler que la misogynie ne commence pas avec Schopenhauer :
Elle traverse toute l’histoire de la philosophie, de Platon à Sartre, en passant par Rousseau, Freud, Augustin.
Elle est aussi ancrée dans les mythes fondateurs (Ève dans la Genèse, Pandore chez les Grecs) qui associent le féminin à la faute originelle, à la négativité, à la chute du monde idéal.
À l’inverse, certaines traditions marginales (stoïciens, épicuriens, gnostiques, Montaigne…) ont valorisé le féminin et reconnu la capacité des femmes à philosopher.
3. Biographie et doctrine : une douleur d’enfance non résolue
La misogynie de Schopenhauer est autobiographique :
Il entretient une relation conflictuelle avec sa mère Johanna, qu’il juge volage, narcissique, indifférente.
Sa sœur Adèle et les femmes de sa vie sont souvent jugées superficielles ou intéressées.
Son expérience personnelle, marquée par l’absence d’amour, le conduit à élaborer une théorie généralisée de l’infériorité féminine, transformant une douleur intime en système philosophique.
4. Le texte “Sur les femmes” : une accumulation d’insultes rationalisées
Dans Sur les femmes, Schopenhauer dresse une liste accablante :
Les femmes sont décrites comme inférieures, menteuses, capricieuses, immatures, intéressées, dépensières, inaptes à l’intelligence ou à l’art.
Leur beauté est une ruse de la nature pour tromper les hommes et les pousser à la reproduction.
Leur physiologie même (hanches larges, épaules étroites) serait le signe de leur destin biologique : faire des enfants.
5. La sexualité comme ruse du vouloir-vivre
Schopenhauer inscrit la sexualité dans une métaphysique tragique :
Le désir n’est qu’un mécanisme aveugle, commandé par la nature pour reproduire l’espèce.
L’amour est une illusion, un habillage culturel de l’instinct reproducteur.
Le vouloir-vivre, tyrannique, pousse les êtres à perpétuer la souffrance du monde à travers la procréation.
6. Une vision déterministe du rôle des sexes
Selon Schopenhauer :
Les hommes sont naturellement polygames et portés à l’action.
Les femmes sont sédentaires, vouées au foyer et à l’éducation des enfants.
Cette répartition est biologique et universelle, et justifie l’exclusion des femmes des sphères intellectuelles, politiques ou juridiques.
7. Vers une ontologie de la stérilité : nier le vouloir-vivre
Schopenhauer propose un pessimisme intégral, avec une seule issue : nier la volonté. Pour cela :
Il faut refuser le désir sexuel, la reproduction, la famille.
L’idéal est la chasteté, l’extinction du vouloir, dans une perspective proche du bouddhisme.
Le suicide est rejeté, car il affirme encore le vouloir-vivre ; seule la négation intérieure du désir permet d’atteindre la paix.
8. Contre les illusions de l’amour et du bonheur
Loin d’un romantisme naïf, Schopenhauer dénonce :
L’amour comme mensonge de la nature.
Le mariage comme institution oppressive.
Le bonheur comme mirage : la vie oscille entre ennui et souffrance, et n’a de sens que dans sa négation consciente.
9. Art, pitié, négation : trois voies de salut
Malgré son pessimisme, Schopenhauer ouvre trois voies d’échappatoire au vouloir-vivre :
L’art, en particulier la musique, qui suspend le désir.
La pitié, qui nous relie à la souffrance de tous les êtres vivants (hommes, animaux).
La négation du vouloir, par une forme de sagesse ascétique et la connaissance libératrice.
💡 Conclusion
La misogynie de Schopenhauer n’est pas un simple excès personnel : elle est le symptôme d’une ontologie noire, où la femme devient l’outil biologique de la perpétuation du mal. Mais Michel Onfray montre aussi que ce pessimisme radical, nourri de douleur et d’expériences vécues, débouche sur une philosophie de la libération, fondée sur la lucidité, le refus du désir, et la possibilité d’une vie détachée. L’ultime éthique de Schopenhauer réside dans la négation du vouloir-vivre, seule capable de faire taire la souffrance du monde.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
Bouddha (env. VIe s. av. J.-C.) — Philosophe indien, figure centrale du bouddhisme, modèle pour la négation du désir.
Sophocle (env. 496–406 av. J.-C.) — Tragédien grec, auteur de la formule : « le plus grand bien est de ne pas être né ».
Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe grec, parfois misogyne dans ses dialogues.
Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur de l’ataraxie et de l’égalité dans son jardin.
Lucrèce (env. 98–55 av. J.-C.) — Philosophe épicurien, critique de l’illusion amoureuse.
Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste, défenseur d’une égalité éducative entre hommes et femmes.
Jean-Jacques Rousseau (1712–1778) — Philosophe des Lumières, aux positions ambivalentes sur les femmes.
Immanuel Kant (1724–1804) — Philosophe allemand, source centrale pour Schopenhauer.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770–1831) — Philosophe allemand, cible majeure des critiques de Schopenhauer.
Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, penseur pessimiste.
Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, lecteur de Schopenhauer, critique du nihilisme.
Sigmund Freud (1856–1939) — Fondateur de la psychanalyse, influencé par Schopenhauer.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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