1. Introduction
Dans cet épisode, Michel Onfray prépare la transition entre Arthur Schopenhauer et Friedrich Nietzsche, en montrant comment ce dernier s’est nourri de la pensée du premier, avant de s’en détacher. Onfray analyse les points de contact, les emprunts assumés, mais aussi les ruptures fondamentales qui marquent le passage d’un pessimisme métaphysique à une pensée affirmative de la vie. C’est tout un retournement qui s’amorce : de la négation du vouloir-vivre à sa transfiguration en volonté de puissance.
2. Schopenhauer comme éducateur
Nietzsche a d’abord vu en Schopenhauer un modèle de philosophe libre, indépendant, ennemi des professeurs et des institutions. Il célèbre en lui :
La cohérence entre vie et pensée.
Le rejet de l’État, de l’université, de la religion.
Le courage de penser seul, à rebours de la majorité.
Dans Schopenhauer éducateur, Nietzsche en fait un exemple existentiel, non une figure d’autorité théorique.
3. Le pessimisme comme tremplin, non comme refuge
Nietzsche reprend de Schopenhauer :
Le primat de la volonté sur la raison.
L’idée que le monde est souffrance. Mais au lieu d’y voir une raison de nier la vie, il propose de l’affirmer malgré tout. C’est le retournement majeur :
"Ce qui ne me tue pas me rend plus fort."
4. De la négation du vouloir-vivre à la volonté de puissance
Schopenhauer appelle à nier le vouloir-vivre pour échapper à la souffrance. Nietzsche, lui :
Assume la vie dans toutes ses contradictions.
Transmute la souffrance en force créatrice.
Défend la volonté de puissance, force affirmative, principe de croissance et de dépassement.
Il transforme donc la même intuition (la vie est volonté) en un projet d’élévation plutôt que de retrait.
5. Contre la morale de la pitié
Schopenhauer fonde sa morale sur la pitié. Nietzsche y voit :
Une valeur chrétienne déguisée, source de ressentiment.
Un poison qui affaiblit l’homme, le détourne de sa puissance. Il lui oppose une éthique de la force joyeuse, du dépassement de soi, contre la compassion et l’humilité.
6. La critique de la chasteté et de l’ascétisme
Schopenhauer recommande la chasteté, la sobriété absolue, l’effacement de soi. Nietzsche inverse cette logique :
Il défend le corps, le désir, la sensualité.
Il voit dans l’ascétisme une volonté de néant, une haine de la vie. Cette rupture est aussi un refus du bouddhisme européen de Schopenhauer.
7. Le surhumain contre le sage
Schopenhauer valorise le sage impassible, retiré du monde. Nietzsche propose une nouvelle figure :
Le surhomme, être en devenir, qui transforme ses faiblesses en force.
Il ne renonce pas au monde, il le recrée.
Le surhumain est l’horizon dynamique de l’individuation, quand le sage schopenhauerien est son arrêt définitif.
8. Une rupture sur le plan de la musique
Nietzsche a d’abord vu en Schopenhauer un défenseur de la musique comme art métaphysique. Mais :
Il se détache de cette vision romantique.
Il se rapproche d’un art plus dionysiaque, jubilatoire, vital. Cette rupture se cristallise dans son éloignement de Wagner, figure du pathos schopenhauerien.
💡 Conclusion
Nietzsche commence sa trajectoire philosophique dans l’ombre de Schopenhauer, mais s’en émancipe en inversant toutes ses valeurs : là où Schopenhauer dit non à la vie, Nietzsche dit oui ; là où l’un invite au retrait, l’autre appelle au dépassement. Ce passage du pessimisme actif au dionysisme marque une inflexion décisive dans la pensée moderne : la volonté n’est plus à nier, mais à sublimer.
📚 Philosophes mentionnés
Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe grec, théoricien du monde des idées.
Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur de la vie simple et du plaisir mesuré.
Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, modèle d’éthique de vie.
Marc Aurèle (121–180) — Empereur stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
Immanuel Kant (1724–1804) — Philosophe allemand, source centrale pour Schopenhauer.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770–1831) — Philosophe idéaliste allemand, opposé par Nietzsche et Schopenhauer.
Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe du pessimisme, auteur du Monde comme volonté et comme représentation.
Richard Wagner (1813–1883) — Compositeur allemand, admiré puis rejeté par Nietzsche.
Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, théoricien de la volonté de puissance, du surhomme et du dionysisme.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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